Bataille de l’Oued El-Makhazine/ Déroulement

Le déroulement de la bataille des 3 rois.


En dépit des préparatifs très poussés et de la puissance de l’armée portugaise, les Marocains ont pu remporter cette guerre grâce à la tactique bien étudiée du roi marocain et à la volonté ferme de son peuple.


Les préparatifs portugais.

            En effet, Don Sébastien saisit donc le prétexte de porter secours à son allié Al Moutawakil pour entreprendre lui- même une grande expédition au Maroc. Mais auparavant, il se heurta aux réticences de son conseil et des grands de son royaume. Il fait venir des mercenaires d’Allemagne en grand nombre. Il fit appel aussi à des Italiens et des Espagnols, en plus des soldats que lui avait promis son oncle Philips II le Roi d’Espagne. Il prit, en même temps, soin de son armement, en renforçant son artillerie par de nouvelles pièces, en faisant provision d’armes et de munition et les vivres. Ayant embarqué tout son matériel, il prit lui-même la mer avec son armée le 26 juin 1578. L’expédition fit halte à cadis pendant  une quinzaine de jours pour recevoir du renfort. La flotte reprit le large le 8 juillet et accosta à en rade de Tanger où il devait un entretien important avec Al Moutawakil qui l’attendait. C’est le fils âgé de dix ans, de ce dernier qui vint l’accueillir à son débarquement.

 
Bataille des 3 rois

 
Après cette entrevue, Sébastien s’en alla à Asilah, accompagné d’Al  Moutawakil.
Il arriva le 13 juillet et fit conduire son jeune otage Moulay Ach-Cheikh à Mazagan. Les préparatifs ont continué jusqu’au lundi 4 août 1578, le roi Don Sébastien s’est réveillé tôt le matin fébrile mais heureux comme s’il allait se préparer à une fête. Il revêtit une belle armure neuve sur laquelle il crut fort indiqué d’endosser un camail en cuir, sorte de tunique qu’il se fit lancer dans le dos, destinée dans son esprit, sinon à arrêter, du moins à atténuer l’effet sur l’armure de l’ardeur des rayons du soleil d’août. Il sentit bien que l’ensemble était un peu lourd, déjà un peu chaud, que cela le gênait dans ses mouvements de bras, mais il n’en eut cure. Après quoi, il convoqua son état major et donna ordre de charger les bagages dans les charrettes et de préparer les différents corps de l’armée qu’il entendait venir lui-même ordonner en dispositif de combat, selon un plan de bataille qu’il avait élaboré et retenu après mûres réflexions. Courant de-ci, de-là, houspillant les uns, gourmandant les autres, parfois aidé par le capitaine de Aldana et par Don Duarte de Menezes, il parvint, presque au bout de deux heures, à mettre en place le dispositif en question. Tout d’abord, il fit mettre au centre de l’armée tout le convoi de bagages avec les religieux et la multitude infinie des pages, laquais, serviteurs, esclaves, filles de joie, goujats, muletiers, soit treize mille personnes « non apte au combat », entassées pêle-mêle dans un étroit espace, devant être ainsi-dans sa pensée- d’une part protégées par l’armée portugaise et, d’autre part, empêchées de fuir, affolées et démoralisation parmi les rangs des combattants chrétiens. Au-devant de ce convoi, il fit alors aligner son avant-garde composée de trois carrés : en aile gauche face à l’ennemi, le régiment des Espagnols avec les Italiens, en aile droite le bataillon des Allemands, au centre le bataillon des aventuriers et des soldats de Tanger. Tout autour du convoi, il fit ranger en carré tous les corps d’arquebusiers portugais sous les commandements respectifs de leurs recruteurs formateurs, Diego Lopez de Sequéira, Don Miguel de Noronha, Fransisco de Tavora et Vasco de Silveira.
L'ensemble ainsi disposé formait un carré compact que l'on fit protéger à gauche et à droite par des rangées de charrettes et à l'avant par la ligne continue de 36 pièces d'artillerie.
Enfin, de part et d'autre des charrettes, le roi répartit les différents contingents de la cavalerie portugaise:à droite, il plaça Don Duarte de Menezes et le duc d'Aveiro avec environ 500 cavaliers chacun, ainsi que le chérif Moulay Mohammed avec ses 500 fantassin et ses 600 cavaliers, cependant que Don Sébastien et le reste de la cavalerie, soit un millier environ, se plaçaient à gauche de l'armée.
Quoi qu’il en fût, Sébastien  quitta Asilah le 29 juillet marcha lentement au rythme de son matériel qui était lourd à transporter. Abdelmalek fit installer son camp sur une colline en vue de l’armée portugaise dont le campement était installé dans une pleine à un lieu de distance. Il fit dresser ses tentes le long de la rivière Oued El Makhazine.     
     D’après l’estimation des historiens et des chroniqueurs, l’armée portugaise comprenait un effectif  pouvant varier entre 15 000 et 120.000 hommes, à sa tête toute la noblesse du monde chrétien, aussi des mercenaires de toutes les origines. L’armée marocaine est aussi forte, mais surtout très mobile avec un effectif variant entre 50 000 à 70 000 hommes.
    Son dispositif de combat ainsi définitivement mis en place, le jeune roi caracola quelques instants à travers régiments et escadrons, paressant fort satisfait et comme guettant dans les regards approbation et admiration.
    Mais ces regards, ou se détournaient, ou ne reflétaient que lassitude,  appréhension et désarroi. Sébastien adressât à ses troupes une longue harangue," les exhortant à s'exposer courageusement pour le service de Dieu, pour l'exaltation de la Sainte Foi et la religion chrétienne, leur promettant de grands biens, des faveurs, de l'avancement et des privilèges, les assurant de la victoire moyennant la grâce divine en laquelle il avait toute son espérance et qu'il espérait de son Dieu avec un cœur très chrétien et zélateur de Dieu Notre Seigneur..."
    Entre temps, pendant la harangue, les prélats du roi, les évêques de Coimbre et de Port, le commissaire de Sa Sainteté apostolique, et plusieurs représentants tant séculiers que religieux de divers ordres, crucifix en main, circulant à travers régiments et escadrons, allaient au devant des soldats, les exhortaient et les encourageaient à " se présenter gaillardement à la mort pour la Sainte Foi catholique", leur prodiguant force bénédictions et invocations pour le salut de leur âme.
    Lorsque la harangue arriva à son terme, il était déjà 11 heures. Les pauvres troupes portugaises, souffrant de la chaleur dans leurs rangs serrés et leurs carrés compacts, avaient à peine prêté attention aux belles envolées royales, dans les derniers mots furent suivis d'un profond silence.
    Il y eut alors comme une longue pause, comme un long moment d'expectative. Face à face, le chrétien et le musulman s'observaient, chacun dans l'attente de ce qu'entreprendrait l'adversaire.

 Bataille des 3 rois / Les préparatifs marocains.


Parallèlement, Abdelmalek  savait que l’attaque portugaise était imminente, sans s’affoler, il se rendit dans le Souss le 26 juin. C’est là qu’il apprit le 2 juillet que l’armée portugaise avait quitté Lisbonne à destination du Maroc. Il retourna à Marrakech pour rassembler son armée. Le 3 juillet, il campe à El Khémis. Il arrive dans la province de  Tamesna le 6 juillet. Là lui parvient la nouvelle du débarquement de l’armée portugaise à cadis. C’est à salé, où il se trouve le 14 juillet, qu’il apprend le débarquement des portugais à Asilah.
    Le 16 juillet, il est à Maamora et, en fin, le 24 juillet, il parvient à souk El khémis à quelques kilomètre de Ksar EL Kébir. Ainsi Abdelmalek fit preuve en cette grave circonstance de diligence, d’esprit de décision de sens de l’organisation. Pourtant, il était fortement handicapé par la maladie qui l’avait surpris au moment où il se trouvait à Tamesna. Malgré la souffrance, il assura son commandement de la manière la plus efficace, à tel point qu’un  témoin espagnol dit dans ses relations :
      « Or lui, à la nouvelle que le roi Don Sébastien était parti à cadis, pour venir à Asilah, tout malade qu’il était, vint aux champs et s’achemina vers Asilah, avec son armée, se faisant porter en litière, jusqu’à ce qu’il fût à une journée d’Alcazar, où le prince son frère, l’attendait pour se joindre à lui avec son armée. Et à l’occasion de leur rencontre, on fit une grande et longue salve de canons et d’arquebuses de l’un et de l’autre coté, quoi que le roi vint en si mauvaise disposition et si faible de sa personne »
Une fois installé avec son armée dans le parage de Ksar El Kébir, Abdelmalek, qui était constamment informé de la situation dans le camp adverse, essaya encore une fois de faire entendre raison à Sébastien. Bien que les conseillés du roi portugais lui ait recommandé de mettre une telle position, il n’en fit qu’à sa tête comme de coutume et se résolut de livrer bataille à Abdelmalek.
Après avoir passé une nuit d'un sommeil paisible, le chérif saadien Moulay Abdelmalek
s'était réveillé, ce lundi 4 août 1578, plus malade encore que la veille. Pale, fiévreux, respirant avec peine, il sentait ses forces décroître et l'abandonner de plus en plus. Cependant, dans un suprême et constant effort de volonté, il s'évertua à concentrer le peu de vie et d'énergie qui lui restait à réfléchir aux responsabilités que lui imposait l'imminence de la bataille.
    Au lever du jour, il convoqua son état major, lui ordonna d'aller sonner l'alarme et de dresser prestement le dispositif de combat en large croissant tel que prescrit et exécuté la veille.
    Quelques instants plutard, au grand dam de ses médecins et de son chambellan Redouane El-Euldj, il se leva revêtu le riche costume d'apparat de la veille et, en fourchant péniblement son cheval, tint à aller se rendre par lui-même si ses ordres avaient été bien exécutés.
    Effectivement, son dispositif de combat en large croissant ouvert avait été ponctuellement mis en place comme il le désirait: en corne droite du croissant, face à l'emplacement ou se tenaient le roi Sébastien et sa cavalerie, Moulay Ahmed avait bien rangé ses mille arquebusiers à cheval et ses dix mille cavaliers-lanciers; en corne gauche du croissant, face aux emplacements tenus par les contingents du chérif Moulay Mohamed, de Don Duarte de Menzes et du duc d'Aveiro, Mohamed Zarco avait bien disposé ces deux mille arquebusiers à cheval et ses dix mille cavaliers-lanciers; tout au long de la partie centrale du croissant, après avoir aligné en demi-cercle les 26 pièces de compagne servies par des artilleurs experts, les caïds Dogali et Mohamed Faba avaient ordonné, en régiments espacés, leurs 15 000 arquebusiers; au milieu des arquebusiers, se tenait la garde personnelle du chérif sous le commandement Moussa; enfin, en arrière garde, le reste de la cavalerie régulière, soit 20 000 lanciers répartis en contingents de 2 000, était déployé en une ligne continue doublant la forme demi-circulaire du dispositif de première ligne. Quant aux quelques 15 000 cavaliers des tribus accourues au jihad, le sultan saadien les avait cantonnés sur les hauteurs des collines d'alentour, en particulier celles des Ahl-Sérif, près de la corne droite du croissant occupée par Moulay Ahmed, mais avec l'ordre formel de n'intervenir qu'après que l'armée marocaine régulière eut bien engagé les combats. Soit un effectif total de 73 000 soldats, selon les sources de Younes Nekrouf.
    Par un effort de volonté extrême, a bout de forces et presque chancelant, Moulay Abdelmalek s'obligea à passer en revue tout le dispositif ainsi formé, de la corne droite à la corne gauche du croissant, revint au centre, fit avancer de quelques centaines de mètres l'ensemble de ses troupes jusqu'à ce que les Portugais fussent à portée de ses arquebusiers, et revint se poster au milieu de sa garde.
    Il était alors plus de 11 heures, mais le malheureux chérif paraissait vivre hors du temps. Seule, une question le tourmentait: allait-il lui rester encore quelques forces pour réussir à sauver son royaume et s'assurer une victoire dont il n'avait pas jusqu'alors douté un seul instant?
    Le surgissement d’une volonté ferme de résistance au sein du peuple marocain fut une grande surprise. Croire que la crise politique avait compromis toutes les chances de survie de la nation marocaine, c’était le point compter avec la vitalité de ce peuple qui a toujours joué un rôle décisif au moment le plus difficile de son histoire. L’évolution de la situation montre que l’impuissance des Wattassides n’était au fond, que l’impuissance d’une dynastie, d’une superstructure politique. Quand au peuple, il gardait intactes toutes ses vertus, toutes ses chances et n’avait besoin que d’être bien dirigé.
    Déjà lors de la prise de Sebta en 1415 par les Portugais, les appels à la lutte nationale, au jihad, se firent entendre ici et là à travers le Maroc. Nombre de confréries religieuses ou Zaouïas, notamment Kadiria et la Chadlia, se sont mises au service d’une telle cause. Il y en a même d’autres qui sont allés plus loin en organisant dans le sud marocain tout un réseau dont la vocation était de mobiliser les croyants pour combattre l’envahisseur étranger. Comme suite à ces appels et exhortations, des groupes de moujahidines se sont constitués rapidement dans le RIF, dans les Jbalas et autour des enclaves espagnoles et portugaises.
    Ce mouvement religieux et nationaliste à la fois qui correspondait à l’esprit de l’époque où la religion pesait d’un poids plus lourd dans la vie du peuple, représente le fer de lance d’une lutte séculaire entre chrétiens et musulmans des deux côtés du détroit. C’est, d’ailleurs l’impact de ce facteur religieux qui orienta, finalement, l’esprit des marocains vers la solution qui semblait répondre le mieux aux exigences de l’histoire.    

 Bataille des 3 rois /  Déclenchement de la bataille.


Finalement, Le roi Don Sébastien décida d’attaquer le dispositif marocain le 4 août, à midi. Il rangea ses chevaliers en se mettant à leur tête et s'élança en direction de l'aile droite marocaine occupée en face de lui par la cavalerie du prince Moulay Ahmed. Aussitôt, le souverain Moulay Abdelmalek, à cheval au milieu de sa garde, donna l'ordre à ses artilleurs de bombarder les positions ennemies et leur recommanda de diriger leurs boulets vers le centre du dispositif afin d 'y provoquer la panique parmi les milliers de personnes non combattantes qui s'y trouvaient. En même temps, il fit entrer en action ses arquebusiers, les incitant à attaquer le milieu de l'avant-garde ennemie et, au fur et à mesure, à s'en approcher lentement. Au même moment, de l'aile droite portugaise, Don Duarte de Menzes, le duc d'Aveiro et l'ex-sultan Moulay Mohammed s'élancèrent avec leurs cavaliers et chargèrent les positions marocaines occupées en face d'eux par les contingents du vice-roi Mohammed Zarco. Bientôt, au centre, canonnades et arquebusades se mirent à s'intensifier de part et d'autre. Les tirs des Marocains, plus rapides et plus ajustés, commencèrent à créer effroi, confusion et désordre parmi les Chrétiens. Cependant, aux ailes, la situation était plus sérieuse pour les Musulmans. Les charges lancées par les Portugais furent impétueuses, le choc fut rude, le résultat parut incertain. La cavalerie de Moulay Ahmed résista efficacement, et Don Sébastien, craignant d'être contourné en raison du nombre des ennemis et d'être coupé de son armée, décida de repartir avec ses chevaliers vers sa position de départ. Mais la charge menée conjointement par Duarte de Menzes, le duc d'Aveiro et Moulay Mohammed Zarco, y créant un commencement de débandade, et des groupes de cavaliers marocains, tournant bride, commencèrent même à s'en fuir. Mohammed Zarco perdit dans cette charge deux des cinq drapeaux de l'armée marocaine. Le chérif Moulay Abdelmalek, qui observait la scène, constatant ce mouvement de débandade des siens, fut saisi d'une violente colère. Il décida d'aller arrêter les fuyards et de les ramener au combat. Déjà chancelant, hors de lui, il voulut à cet effet, se saisir des rênes de son cheval, mais les bras lui manquèrent. Ses proches, émus, prirent ces rênes en main, le supplièrent de ne pas s'exposer davantage. Il fut alors pris d'un tremblement convulsif. Suffoquant, il releva la tête, leva vers le ciel l'index de sa main droite, murmura sans doute la profession de foi que tout Musulman se sentant mourir doit prononcer: "J'atteste qu'il n'y a d'autre dieu que Dieu et que Mohammed est le messager de Dieu!" Puis, il tomba, sans connaissance, sur l'arçon de son cheval. On le mit alors dans sa litière; il était mort. Son entourage cacha soigneusement sa mort, laissant croire qu'il se reposait dans sa litière. Pour ce faire, son chambellan Redouan El-Euldj eut recours à deux procédés: d'une part, il installa à côté du défunt un jeune page d'une douzaine d'années, fort intelligent, qui, en regardant au dehors les phases de la bataille, devait se retourner vers l'intérieur de la litière et parler à Moulay Abdelmalek comme s'il était en train de le tenir au courant du déroulement des opérations; d'autre part, Redouane EL-Euldj allait et venait à travers les contingents marocains, disant, selon les termes rapportés par l'historien marocain El- Oufrani: "Le sultan ordonne à un tel de se rendre à tel endroit, à un tel de rester auprès du drapeau, à un tel de se porter en avant, à un tel de se porter en arrière, etc."
Quelques instants plus tard, le malheureux Moulay Abdelmalek aurait pu constater avec satisfaction que les attaquants de Duarte de Menzes, du duc d'Aveiro et de Moulay Mohammed n'étaient plus en mesure de poursuivre leur pression sur les positions de Mohammed Zarco. Quelques contingents de Marocains, répartis à l'arrière-garde par escadrons de deux milles cavaliers, accoururent à la rescousse de Zarco et obligèrent les attaquants portugais à se replier et à repartir vers leurs positions de départ. Plus encore, ces Marocains, poursuivant leur action, parvinrent devant les trente-six pièces de l'artillerie portugaise qui avaient à peine servie, et, les enlevant, purent tout à loisir les emporter vers l'arrière du dispositif marocain. En même temps, les cavaliers de Zarco, dégagés et encouragés, se lancèrent à la poursuite des Portugais qui se repliaient. Coincés entre la barrière des charrettes et l'oued Loukkos, submergés par le nombre, ceux-ci n'offrirent guère de résistance. Affolés ou cherchant à fuir, les uns se rendirent ou furent massacrés, les autres prirent la fuite. Parmi les fuyards, les uns se noyèrent en essayant de traverser l'oued El-Makhazine, les autres vinrent jeter le désordre dans les éléments de l'arrière-garde portugaise. Les fidèles de Moulay Mohammed subirent le même sort. Duarte de Menzes se rendit, le duc d'Aveiro fut tué.
Quant à l'ex-sultan Moulay Mohammed, cherchant comme dans le passé son salut dans la fuite, il lança son cheval dans la direction d'Asilah et voulut traverser l'oued El-Makhazine. Or, ce fleuve, plein de boue et marécageux, était à marée haute en raison de la proximité de l'océan Atlantique. Le cheval, pour se désembourber, jeta par-dessus selle son cavalier qui, ne sachant pas nager, se noya.
Au centre, les Marocains continuant à avancer en tiraillant, les deux infanteries en étaient arrivées maintenant au corps à corps. Les Allemands paraissaient, peu à peu, perdre pied et refluer vers l'arrière. Les Espagnols et les Italiens résistèrent longtemps, en arrivèrent au combat au poignard, mais finirent par succomber"mourant quasi tous, non vaincus, mais las de tuer".
Pendant ce temps, en aile gauche du dispositif portugais, où combattaient le roi Don Sébastien et ses chevaliers, la situation pour l'armée chrétienne devenait, d'instant en instant, plus critique. La corne droite du croissant marocain lançait les dix mille cavaliers du prince Moulay Ahmed contre la cavalerie du jeune roi et, accentuant sa pression, la contournait peu à peu sur sa gauche, progressait vers l'arrière garde portugaise qu'elle cherchait manifestement à prendre à revers. Elle fut aidée en cela par les milliers de cavaliers du jihad qui déferlèrent des hauteurs de leurs collines. Tous les escadrons portugais, désordonnés, se resserrèrent sur eux-mêmes, de tous les côtés, provoquant, dans l'effroi, une confusion extrême. On tua trois chevaux sous Don Sébastien qui, tout en combattant vaillamment, essayait en vain de rallier ses chevaliers pour aller porter secours à son arrière-garde. Bientôt, il ne restait plus autour de lui que sept à huit Fronteiros de Tanger, ces cavaliers les plus expérimentés et les plus solides pour les guerres d'Afrique.
Car, devait rapporter un chroniqueur témoin oculaire: "Les hidalgos et cavaliers portugais, las et avilis, laissant leurs montures, se mettaient à l'ombre des charrettes pour se rafraîchir, puis, voyant tout perdu, s'enfuirent; essayant de s'échapper à pied ou à cheval, ils prirent la route d'Asilah, et les Mores en firent carnage…"
Don Sébastien continua donc à combattre, presque seul. Il fut enfin encerclé par une soixantaine de cavaliers marocains qui le désarçonnèrent et le tuèrent.
N'ayant plus de résistance organisée devant eux, les contingents de Moulay Ahmed et les Moujahidines parvinrent aux positions de l'arrière-garde chrétienne qu'ils eurent tôt fait de disloquer.
Et ce fut le commencement de la débâcle, l'anéantissement de l'armée portugaise qui allait se prolonger jusqu'au coucher du soleil.
Toute retraite leur étant coupée par les deux rivières de Loukkos et d'El-Makhazine où la marée se faisait sentir et qui devenaient infranchissables à la pleine mer, les combattants portugais se trouvèrent enfermés dans un cul-de-sac et pratiquement encerclés de toutes parts. Il s'ensuivit une débandade, un sauve-qui-peut désordonné et général, avec ses conséquences tragiques et variées. Jetant leurs armes, les Portugais coururent vers le centre, essayant de trouver un abri à l'intérieur du convoi.
Alors, soldats et gentilshommes, religieux et serviteurs, chevaux et chariots, tentes et pavillons pleins de bagages, tout vint s'amonceler si à l'étroit, qu'il y en eut, fort nombreux, qui furent étouffés, foulés aux pieds sous les chevaux et les chariots.
De toutes parts, cavaliers et fantassins marocains resserrèrent leur emprise sur cet énorme amoncellement et entreprirent d'éliminer les dernières résistances. "Vaincus, devait écrire l'historien marocain El-Oufrani, les infidèles tournèrent le dos; mais enfermés dans un cercle de mort, ils virent les glaives s'abattre sur leurs têtes; et, quand ils voulurent prendre la fuite, il était trop tard …"
Toute résistance annihilée, ce ne fut plus que la suite des tristes scènes habituelles en pareille fin de bataille: tentatives de fuite et poursuites se terminant par la reprise des fuyards ou leur noyade, mise en ordre des innombrables captifs et leur recensement, pillage en règle et inventaire de l'énorme et riche butin donnant lieu parfois à de sérieuses altercations entre les pillards, etc.
Au coucher du soleil, plus rien ne restait de l'armée de Don Sébastien. Le prince Moulay Ahmed fit sonner le rassemblement, et, dans un profond silence de tristesse et de douleur, annonça la mort de son frère, Moulay Abdelmalek; Après quoi, en raison de sa qualité de prince héritier, il se fit proclamer roi du Maroc sur-le-champ de bataille même.

 Bataille des 3 rois / 

Ainsi se terminait la bataille des Trois Rois, durant laquelle" les trois princes furent perdus, l'un de mort naturelle, le deuxième du glaive, le troisième étouffé dans l'eau", constatait Franchi de Conestaggio; "tous les trois aspirant à la couronne du Maroc, il n'y en eut pas un d'eux qui en jouit", concluait Luis Niéto. Le bilan en fut bien lourd pour le royaume de Portugal: au regard de trois mille Marocains tués, l'on évalua à plus de quatorze mille portugais tués et à quelque vingt mille captifs, tant soldats, petit peuple de service que gentils-hommes, ceux-ci représentant une bonne partie de la noblesse du royaume. A peine une cinquantaine de personnes réussirent à s'enfuir.  



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